Récit d’Ironman FRANKFURT 2023 par Salah

Ironman de Frankfurt 2 juillet 2023

2023 est pour moi une année exceptionnelle, car j’ai enchainé les expériences : 

* Préparation de la VAE ingénieur (dossier, mémoire et Toeic)
* Membre du jury de la cour d’assise de Rennes sur l’affaire du magicien Pédophile
* Travaux à la maison (cuisine, terrasse …)
* Changement du poste avec une restructuration de l’entreprise
* Ironman de Frankfurt
Lorsque je me suis inscrit à cet Ironman en Allemagne, je ne savais dire qu’une seule phrase dans la langue de Goethe : « Ich weiss nicht was soll es beudeuten dass ich so traurig bin » – « Je ne sais pas pourquoi je suis aussi mélancolique aujourd’hui ».
Comme je pressentais qu’il serait difficile de placer cette citation durant la course, je me suis connecté sur Google Trad et j’ai également appris à dire : « Hilfe, hilfe, ein krampf » – « au secours, une crampe ! ». Moins poétique mais certainement plus utile pour les 3,8 km de traversée du lac (Langene Walsee) qui me hantent… surtout quand j’ai appris que la température de l’eau est à 25°C. Mais je me rassurais en me disant qu’ils allaient tout faire pour que la combi soit autorisée.
Frankfurt,
Dimanche 02 juin 2023,
Il est 3 heures du matin et je suis devant mon gatosport et mon mug de café, dans ma chambre Airbnb. Je n’ai pas plus faim qu’envie de prendre le départ de cet Ironman.
Je suis concentré sur ma course et à la veille de mes 44 ans je suis aussi en train de me demander pourquoi je m’inflige une telle chose, moi qui n’ai jamais dépassé la distance L. J’éprouve de l’angoisse. Mais prendrais-je le départ si je n’éprouvais pas cette peur de l’échec ?
Cela fait quelques semaines que j’oscille entre doutes et excitation. Mais cette même fébrilité est là lorsque je prends le départ d’un L Frenchman, alors il n’est pas étonnant d’éprouver cette sensation au départ du monstre Ironman avec ses 3,8 km de natation, 180 km de vélo (182 à Frankfurt) et 42,195 km de course à pied.
Ce matin, à cette heure matinale, c’est la peur qui prend le dessus. Je suis d’autant plus angoissé que la température du lac où nous nagerons est à 23,5 degrés (je viens de vérifier sur mon portable mais ce n’est pas très fiable) et que les combinaisons sont interdites à partir de 24,5 degrés. L’épreuve de la natation sans la flottabilité apportée par le néoprène me compliquerait bien les choses, moi qui suis un piètre nageur.

4h15 : Je quitte mon Airbnb pour me rendre à la navette de départ, située à 25 mn de marche. Il fait encore nuit. Des coureurs sortent de différents immeubles. Cela me fait penser aux petites tortues qui, à peine sorties de l’œuf, avancent, déterminées à rejoindre l’océan.
Je croise aussi quelques noctambules dubitatifs face à ces femmes et hommes en trifonction moulante dans la rue.
4h45 : La navette démarre pour 30 mn de trajet. Je suis debout. Je ne suis plus à ça près.
5h45 : Après un embouteillage de navettes qui nous a contraints à finir le dernier kilomètre à pied, j’arrive dans le parc à vélos. Le jour se lève. A peine entré, j’entends un coureur dire à son camarade : « Regarde, ils la mettent ». Je comprends tout de suite de quoi il s’agit et, pour me rassurer définitivement, je scrute le fond du parc à vélos.
Effectivement, après avoir réglé et gonflé leurs vélos, les triathlètes enfilent leur combinaison. Ouf ! Elle a donc finalement été autorisée par le comité de course.
6h20 : Près de 3.000 coureurs en néoprène noir et bonnet de bain rouge sont rassemblés sur la plage. Dans quelques minutes, le départ des professionnelles femmes, puis un handisport, et enfin nous nous élancerons par groupe de 6 toutes les 4 secondes. Je me place dans le SAS >1h30.
Pour l’heure nous sommes encore tous ensemble, chacun face à son propre défit, chacun face à son Everest.
La sono crache une musique galvanisante, puis un clapping des 3.000 concurrents est lancé, sous le bruit de l’hélicoptère de la télévision allemande qui diffuse en direct cet événement, championnat d’Europe oblige.
Le coup de pistolet retentit alors que s’élèvent d’immenses flammes pyrotechniques. Les professionnelles femmes courent et plongent à l’eau, bientôt suivis par les autres concurrents. Nos 3.000 cœurs battent à l’unisson. SAM choisit de se mettre dans le premier sas (les plus rapides), je choisis le dernier > 1h30 (les plus originaux).
7h00 : Je vais rentrer dans l’eau parmi les derniers. Je viens de donner ma bouteille d’eau vide à un spectateur pour qu’il la jette dans une poubelle. Il a accepté avec sourire et m’a soudainement pris dans les bras pour me donner une forte accolade. Surpris, je suis touché par ce geste de respect et d’affection.
Mes premiers mouvements de crawl me libèrent. Je ne suis plus dans le doute, je suis parti pour cette folle aventure.
Je m’efforce de tenir le cap des grosses bouées jaunes et oranges qui marquent le parcours que j’ai appris par cœur : d’abord un rectangle de 1,5 km, puis, après un rapide passage sur la plage, un grand triangle de 2,3 km.
Je termine la première partie de 1,5 km en 45 mn, ce qui est un temps normal pour moi. Après quelques pas courus sur la plage, je m’élance pour le triangle de 2,3 km.
Je ne peux m’empêcher de faire toutes sortes de calculs afin de me rassurer sur le fait que je sortirai avant la barrière horaire de 2h20 pour cette première épreuve. Je pense à Cédric, un Belge rencontré la veille, qui retente l’Ironman après avoir été éliminé dès la natation il y a trois ans. Sorti de l’eau au-delà des 2h20 autorisées, les arbitres lui avaient pris son dossard et ne l’avaient pas laissé partir à l’épreuve de vélo.
J’ai maintenant le soleil en face et il est très difficile de se repérer. Un nageur s’est mis à la brasse pour mieux s’orienter. Je le suis quelques mètres puis le dépasse (et c’est rare que je dépasse en natation).
Dernier virage, dernière ligne droite de 800 m. Je sens l’arrivée d’une crampe. Je fais quelques étirements avec ma jambe droite, sans cesser de nager. Ça marche : kein krampf !
Il doit maintenant rester 400 m. J’entends la sono sur la plage. Ça me motive.
200 m. Beaucoup de kayaks et bateaux en haie d’honneur. Puis la plage. Je suis sauvé. Pour moi, la course va commencer.


Des spectateurs m’applaudissent chaleureusement. Je comprends qu’ils saluent l’effort et non le chrono, l’homme et non l’athlète. Ça me touche.
J’enlève mes lunettes, mon bonnet et cours sur le tapis. Je regarde ma montre. Il est 8h41. J’ai mis 1h41, ce qui n’est malheureusement pas une contre-performance pour moi. Mais j’ai une bonne avance sur la barrière horaire qui empêche de quitter le parc à vélo à compter de 9h30.
Je récupère mon sac bleu et m’assois dans la tente vestiaire. Je dépose mon bracelet puce pour ne pas gêner l’enlèvement de la combinaison lors du passage de la cheville gauche. J’enfile des jolies chaussettes, achetées au village Ironman et je comprendrais plus tard que c’est une grosse erreur (elles taillent grand et favoriseront les ampoules pendant la course à pied).
Casque sur la tête, chaussures vélo aux pieds, je fonce récupérer mon vélo dans le parc déjà bien vidé.
08h53 : Premiers tours de roues. Même si, physiquement, le plus dur reste à venir, je sais que, à partir de maintenant, j’ai les armes pour me battre. J’ai survécu à l’étape de la natation et j’ai vraiment envie d’en découdre maintenant, sur la terre ferme.

Je ne vois pas passer les 20 premiers km. Le parcours est totalement plat et je ne quitte pas les prolongateurs. Je les parcours à 34 km/h.
Les premières côtes arrivent ensuite. Les habitants des villages traversés ont installé des chaises devant chez eux et nous encouragent.
Une zone de 500 m de pavés nous chahute, dans un joli village.

Sorti à la fin de la natation, je passe mon temps à dépasser des cyclistes sans jamais me faire reprendre.
Une connexion se crée entre moi et les supporters. Dès que j’aperçois un groupe, je lance une « Olé », pour occuper l’esprit, cela jusqu’à l’arrivée.
Km 85 : Je suis dépassé par le premier de la course qui m’a pris un tour (sur les 2 boucles de 91 km formant le parcours). Je suis vraiment impressionné. La différence d’allure est telle qu’on croirait qu’il est à moto.
Km 91 : Retour à Frankfurt avant de repartir pour la deuxième boucle.
Je commence à avoir chaud. Je mange peu mais bois beaucoup. Des ravitaillements sont installés régulièrement. Des bénévoles nous tendent de beaux bidons estampillés Ironman avec de l’eau fraîche ou du coca, au choix. Il suffit alors de jeter son vieux bidon dans la borne dédiée et de repartir avec le neuf.
Km 120 : Je suis bien. Je commence à faire le compte à rebours et à me dire que je pourrai commencer le marathon vers 16h.
Km 140 : Sur le bord de la route, un jeune enfant avec ses parents, m’encourage avec enthousiasme. Je me vois à son âge. Il me touche, je ne sais pas pourquoi. Je ralentis et lui tends mon bidon Ironman avec un sourire. Il le saisit et se tourne immédiatement tout fier vers sa maman qui lui décroche un sourire attendri.
Km 155 : J’ai chaud et je commence à avoir mal un peu partout, surtout à la nuque. Envie de me redresser. Je m’aperçois alors que cela fait environ 5h30 que je pédale. Je décide de m’arrêter, le temps d’une envie naturelle. Grand bien m’en a pris car je n’ai plus mal quand je repars 2 mn plus tard et je termine sans grande souffrance.

15h50 : Arrivée à la transition 2 après 6h57 pour les 182 km (1.600 m de D+), soit 26.2 km/h de moyenne, je dépose mon vélo, puis prends le temps de mettre mes chaussures, ma casquette Ironman et c’est parti pour un marathon !
15h55 : Déjà 8h56 de sport au moment de l’entrée sur la piste du marathon.
Le marathon consiste en 4 boucles de 10,5 km de part et d’autre du Main, sur les quais.
À chaque passage de boucle nous recevons un chouchou de couleur différente. Au quatrième chouchou on repart sur le parcours mais à la moitié on tourne vers le tapis rouge à droite pour atteindre le graal à 200 m de là.
L’avantage de ces boucles est de nous replonger au milieu des coureurs (certains ayant plus de tours que d’autres).

Je rentre donc sur le circuit et à deux km environ, je rejoins SAM qui porte déjà 2 chouchous au poignet droit. Il a donc plus d’un tour d’avance sur moi. Je repars, heureux d’avoir vu SAM, mon poto. Je ne peux imaginer que ce marathon sera un calvaire pour ce champion, qui tombera à 6km de l’arrivée mais se relèvera dans la tente des secours et ira chercher en lui la force nécessaire pour terminer le marathon et franchir la Finish Line.
Je n’avais pas appréhendé particulièrement ce marathon, s’agissant de la discipline où je suis le plus à l’aise (je l’ai couru en 02h55 à Rennes en 2019). Mais là, je me rends très vite compte que ça va être difficile. Il fait lourd mais avec un peu d’air. Je ne cherche pas à maintenir un rythme. Je m’efforce juste de courir d’un ravitaillement à l’autre, soit environ des bonds de 3 km.
Et à chaque ravitaillement, je m’arrête et tente de faire baisser la température de mon corps : je bois un verre d’eau, m’arrose la tête, je bois un verre de coca bien frais, mets des glaçons dans ma casquette, encore un verre d’eau, une éponge mouillée sur la nuque, et je me remets à courir jusqu’au ravitaillement suivant où je recommence ce cérémonial, toujours dans le même ordre.
A la fin du premier semi, la douleur de ma cheville se réveille. Je prends conscience que le deuxième semi va être un vrai calvaire pour moi. Je cours comme un automate en alternant course et marche.
Au fil des tours, les chouchous s’accumulent sur mon poignet droit. Je m’accroche aux supporters, qui nombreux sur les bords du parcours m’encouragent. Certains me parlent en français en voyant mon prénom et le drapeau tricolore sur mon dossard.

Je m’accroche à l’idée que le plus dur est fait, que c’est le dernier tour en entier. Je m’efforce d’occuper mon cerveau pour l’empêcher d’écouter ma cheville qui me fait de plus en plus souffrir.
C’est à ce moment-là, que ma montre, achetée spécialement pour l’Iron, me lâche (batterie déchargée). Je suis dégouté, perturbé dans mon effort mais continue ma course en détachant, problème technique oblige, du chrono. Je sais alors que si maintient le rythme, je finirais l’Iron sous les 13h00.
Km 40 : Je récupère le dernier chouchou, le rouge, synonyme d’une délivrance proche. Je suis sur un nuage, toute ma fatigue de la journée s’est évaporée. Je longe le parc à vélo et je bifurque à droite pour l’arrivée ! On y est : le tapis rouge, la foule en délire, les hurlements, les pom-pom girls, la musique à fond et enfin l’arche d’arrivée !
J’ai réalisé cet Ironman en 12h44, mon 1er chrono sur cette distance. Pourtant, cette course me marquera plus que les autres, car I’m an IRONMAN.

Salah

5 réflexions sur « Récit d’Ironman FRANKFURT 2023 par Salah »

  1. TOP : très belle expérience qui en appèlera d’autres… l’envie de revivre de tels émotions sera toujours ton prétexte pour te réinscrire sur un IRONMAN !!!

  2. Dans ce récit, je découvre ce qu’est un Ironman, il faut vraiment puiser au fond de soi-même pour avancer, bravo Salah.
    Tu es prêt pour le prochain
    Tu es un //Ironman//

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *